Afrique : Nouvelle frontière du social-green business

Publié le par greenbusiness.over-blog.com

Thierry Téné  -  10/05/2010 09:30:00 
 La recherche de nouvelles opportunités, la tendance environnementale et la pression législative écologique ont amplifié le décollage de la croissance verte et le continent africain offre de meilleurs atouts par rapport à d'autres régions du monde.

Thierry Téné, Directeur de A2D Conseil.

A l'heure où en Afrique et en France certains s'interrogent sur l'intérêt de célébrer ou pas le cinquantenaire des indépendances avec notamment les subventions de l'ancienne puissance coloniale, que le continent est encore associé à la misère, la pauvreté et la maladie, une autre Afrique bouge, innove et pose les jalons de la marche vers l'émergence. Et si la crise économique qui secoue le monde actuellement n'avait pas eu que des inconvénients pour l'Afrique ? En effet de la chute de Lehmann Brothers à la crise grecque en passant par une faible croissance ou une gestion de la décroissance pour reprendre les propos de Maurice Levy, Président de Publicis, a mis en perspective une certaine fragilité de business occidental et bousculé les certitudes sur zones à risques. L'inconvénient de la faible connexion de l'économie africaine à celle du monde entier s'est transformé en avantage avec la turbulence sur les places financières.  

Quand on lit la presse économique ou écoute certains analystes et décideurs, on observe une véritable mutation idéologique à propos de l'Afrique. Le continent n'est plus présenté comme un concentré de tous les malheurs du monde mais comme un nouvel eldorado pour le business. Il est vrai qu'avec près d'un milliard d'habitants (probablement 2 milliards en 2050), l'émergence d'une classe moyenne, une disponibilité de terres arables, un potentiel quasi inépuisable d'énergies renouvelables, la richesse du sous-sol avec près de 100 milliards de baril de gisement de pétrole, d'immenses réserves de gaz et autres matières premières, l'Afrique dispose d'énormes opportunités pour les investisseurs. Il faut également rajouter une croissance de près de 6 % depuis près de 10 ans qui s'est maintenu à près de 2 % dans la récession et repart dès cette année à près de 4 %. La crise financière qui s'est muée en crise économique a mis en exergue une certaine fragilité de certains produits financiers complexes. Ce qui a augmenté l'appétit des investisseurs pour d'autres produits comme les « commodities ». Enfin la recherche de nouvelles opportunités, la tendance environnementale et la pression législative écologique ont amplifié le décollage de la croissance verte. Le continent africain offre de meilleurs atouts par rapport à d'autres régions du monde.

Cependant dans un monde post-Copenhague, confronté au changement climatique, à l'épuisement des ressources naturelles et dans une Afrique faiblement industrialisée dont une bonne partie de la population est encore tributaire des revenus de l'agriculture qui dépend elle-même du cycle des pluies et enfin à un taux d'habitants encore élevés qui vit en dessous du seuil de pauvreté, le social-green business servira bientôt de socle pour entreprendre en Afrique. Soucieux de maîtriser leurs coûts, les investisseurs sont de plus sensibles aux économies d'énergie et à la réduction des déchets à la source. Une gestion rationnelle des flux et des matières est non seulement écologiquement viable mais surtout économiquement rentable. Sur le plan social, en plus de leurs obligations fiscales, les entreprises sont de plus en plus soumises à la pression d'autres parties prenantes comme les populations locales et les Organisations Non Gouvernementales. En cette année internationale de la biodiversité, les industries du secteur forestier sont le symbole d'une nouvelle forme gouvernance des entreprises en Afrique. Sur le plan international les campagnes de sensibilisation de l'opinion et des décideurs menées  par les organisations écologiques ont en partie contribué à la mise en place de stratégie de gestion durable des forêts. La législation et la prise en compte des critères environnementaux par le consommateur ont aussi poussé les industriels à la certification (FSC, etc.) des forêts.

Les débats sur le changement climatique et les possibilités de compensation financière des poumons écologiques de la planète poussent les Etats Africains (notamment ceux du Bassin du Congo) à la préservation de leur biodiversité pour assurer le rôle de régulateur du climat. Ce qui pourrait à terme impacter le business models des sociétés forestières. Toujours au niveau local, subvenir à toutes les obligations fiscales et sociales dans le cadre réglementaire n'est pas source de tranquillité pour les forestiers. En effet, il faut également répondre à une pression des populations environnantes qui n'ont pas accès à l'énergie, vivent parfois dans des conditions d'extrême pauvreté et qui estiment ne pas tirer profit de leur richesse dans un contexte où la fluidité entre le droit coutumier et la législation nationale accentue la légitimité d'une telle demande.

De plus, tirant les conclusions du passé, les décideurs africains insistent de plus en plus sur l'indispensable industrialisation du continent et la transformation des matières premières sur place en produits finis ou semi-finis beaucoup plus créateurs de richesse et d'emplois. Par ailleurs, l'exploitation des ressources naturelles ne peut plus se faire aux dépens de l'environnement dont c'est le contribuable africain qui paye les frais en bout de chaîne. Il faut donc internaliser les externalités négatives. Le consommateur qu'il soit européen ou issu des classes moyennes asiatiques ou africaines n'est plus insensible aux problématiques sociales et environnementales. Face à une forte concurrence, qui devrait d'ailleurs s'accroître, entre les entreprises en Afrique la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) sera probablement un outil de différenciation et de forte valeur ajoutée. La RSE est d'ailleurs devenue un outil de management stratégique pour le groupe Danone. Les Etats ne sont pas en reste. C'est le cas notamment du Sénégal, qui a accueilli en février dernier le deuxième forum de Dakar sur la RSE, qui a intégré dans sa Stratégie de Croissance Accélérée des obligations en matière de RSE. La mise en place en novembre prochain de la norme ISO 26 000 sur la Responsabilité Sociétale des Organisations permettra l'adoption d'un référentiel international et d'une méthodologie commune pour clarifier une notion qui semble parfois trop « théorique ». Ce qui n'empêche pas certains bailleurs de fonds à anticiper la normalisation. Le gouvernement Canadien sensibilise et encourage de plus en plus ses entreprises notamment minières à s'impliquer dans une démarche de RSE en Afrique.

Que se soit dans un contexte normalisé ou pas, les multinationales devront également composer avec une diaspora et une nouvelle génération de cadres africains de plus en plus exigeants sur des questions sociétales et d'une répartition « équitable » des richesses produites entre les entreprises, l'Etat, les collectivités territoriales et les populations locales. L'intérêt croissant des thématiques d'énergie renouvelable, valorisation des déchets, agrocarburants, RSE, etc lors des rencontres d'affaires comme à Nice (ou près de 230 entreprises sont conviées pour la première fois au sommet Afrique-France), à Bordeaux le 2 et 3 juin et à Pointe Noire au Congo du 7 au 11 juin sont les signes visibles de la marche irréversible de l'Afrique vers le social-green business.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article